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A... tropical

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Message  tropifan Lun 10 Mar 2014 - 9:59

Cette histoire, je pouvais l´écrire en dix lignes ou en dix pages. J´ai choisi bien sûr la version longue qui sera illustrée de quelques photos. Et comme vous êtes observateurs, vous avez tout de suite remarqué que le premier mot du titre est incomplet.
« Encore un mystère à la noix du Tropi ! » pensez-vous. Mystère oui, mais justifié. Par contre ce n´est pas un jeu... encore qu´il ne soit pas interdit d´essayer de deviner, ce qui d´ailleurs me semble presque impossible.
 
 
                                                                               A... tropical (1)
 
 
Ce récit commence chez mon médecin, à Quito. Rien à voir avec les consultations de mon toubib français actuel qui reçoit une quarantaine de patients dans la journée et vous expédie en dix minutes : une petite minute pour prendre la tension, une autre de stéthoscope, puis il se précipite sur son ordinateur avec ma carte vitale, me renouvelle l´ordonnance pour trois mois de plus et encaisse les 23 euros.
Je ne le critique pas, il est aimable et probablement compétent, ce n´est pas sa faute s´il n´y a plus assez de généralistes. C´est la même chose avec tous les autres de la ville, et ceux qui sont en âge de prendre leur retraite n´osent pas le faire car ils ne trouvent pas de jeune médecin pour les remplacer. Brillant résultat du manque de courage de tous les gouvernements qui se sont succédé depuis les années 70 et n´ont pas osé s´opposer au corporatisme des syndicats de médecins qui avaient imposé, avec des arguments fallacieux, le fameux «numerus clausus» pour limiter le nombre des étudiants en médecine.
 
 
Revenons à mon toubib de Quito qui m´examinait toujours longuement et prenait le temps de bavarder avec moi. Il venait de recevoir les résultats d´analyses.
- Tout va bien ? lui ai-je demandé
- Oui... mais votre taux d´hématocrite est un peu trop élevé.
Sachant que les médecins en général, et celui-ci en particulier, ont tendance à ne pas inquiéter leurs patients, j´en ai conclu que « un peu trop » signifiait que le problème était sérieux.
- Un peu trop ou beaucoup trop?
- Oh vous savez, ici avec l´altitude, jusqu´à 50 c´est normal... mais vous avez 53.
Quand j´ai un ennui, j´essaie toujours de le prendre avec humour :
- 53 ! Mais alors je ne pourrai pas faire le Tour de France !
- Le Tour de France ?
- Je plaisantais. C´est la plus importante course cycliste internationale, et j´ai lu que les coureurs dont le taux d´hématocrite est égal ou supérieur à 50 n´ont pas le droit de prendre le départ.
- A cause du dopage, je suppose.
- Oui... mais je vous jure que moi, je ne me suis pas dopé.
 
 
Ce brave toubib devait penser que décidément je n´étais pas conscient des risques que me faisait courir ce satané taux d´hématocrite. Il se résolut donc à expliquer :
- Quand il y a trop de voitures dans une rue ou sur une route, il arrive un moment où se produit un embouteillage et tout se bloque. Eh bien c´est la même chose avec les globules rouges dans nos artères, s´il y en a trop ils ne peuvent plus circuler, ce qui provoque un AVC ou un infarctus.
- Et qu´est-ce que vous feriez à ma place ?
- Les 2800 mètres d´altitude de Quito, ce n´est pas conseillé avec ce taux d´hématocrite, votre organisme fabrique plus de globules rouges pour compenser le manque d´oxygène. L´idéal serait d´aller vivre sur la côte, si vous le pouvez bien sûr.

                 A... tropical Carte_10 
 
 
Facile à dire ! Bien sûr que je pouvais, je n´avais pas de patron, pas de travail fixe, j´étais libre comme l´air. Mais tout ce qui avait pour moi de l´importance se trouvait à Quito : les trois enfants que j´avais élevés, mes filleuls, mes amis, le village d´enfants SOS, mon appartement.
Et pour bien comprendre le problème, il faut connaître un peu l´Équateur, un pays magnifique, l´un des plus petits d´Amérique du Sud avec une superficie qui est la moitié de celle de la France. Sa population se partage à peu près également entre deux régions, la Sierra (montagne), une vallée bordée de volcans située entre 2400 et 3200 mètres d´altitude, et la plaine côtière où se trouve la plus grande ville du pays, Guayaquil (il y a aussi les îles Galapagos et l´Amazonie, très peu peuplées).
Entre la Sierra et la Côte, il n´y a pas plus de ressemblances qu´entre la Norvège et l´Andalousie, tout est différent : le climat évidemment, la végétation, les cultures, la nourriture, mais aussi la prononciation de l´espagnol et la mentalité des habitants. Quitter Quito pour s´installer à Guayaquil, c´est comme changer de pays. Sans compter que c´est une ville réputée dangereuse que je ne connaissais que très mal.
 
 
Je me trouvais si bien à Quito que je n´avais jamais envisagé la possibilité de vivre ailleurs en Equateur, c´était ça le problème. Mais il fallait prendre une décision, j´ai donc convoqué une petite réunion avec moi-même : « Mon vieux Tropi, tu as abandonné une petite vie peinarde en France, il est vrai que c´était devenu la routine, ce que t´aimes pas, et tu commençais à t´ennuyer grave ; et n´oublie pas non plus qu´au temps de ta folle jeunesse t´as trimbalé ton vieux sac à dos dans près de 40 pays, parmi lesquels certains qui me font froid dans le dos rien que d´y penser maintenant, Afghanistan et Pakistan entre autres ! Alors tu vas pas te dégonfler pour aller à Guayaquil ! C´est quand même pas le bout du monde! Et puis tu deviens un peu trop pantouflard, ça te fera pas de mal».
A supposer que ce fût mon « ange gardien » qui m´avait tenu ce langage, je devais admettre qu´il n´avait pas tort. La décision était prise. Parodiant le personnage célèbre d´un roman de Balzac, je lançai devant le miroir de ma salle de bain : « A nous deux Paris Guayaquil ! »
 
 
Le médecin m´avait dit que je pourrais revenir à Quito sans risque pour ma santé à condition que ce soit pour de courts séjours, car l´organisme tarde 48 heures à réagir à l´altitude en commençant à fabriquer plus de globules rouges. Je viendrais donc un week-end de temps à autre, ce qui me permettrait de ne pas perdre le contact avec le Village SOS : en cas de besoin, d´un coup de téléphone on saurait où me trouver, et je ferais coïncider mes venues à Quito avec les réunions importantes.
Quant à mes filleuls, la plupart étaient déjà adolescents, ils ont pensé que je les inviterais chez moi, et pour un jeune de la Sierra, aller sur la côte est synonyme de baignades et de vacances. Ils ont donc réagi positivement à la nouvelle.
 
 
L´un de mes amis a eu, en l´apprenant, une grosse influence sur ce qu´allait être ma vie à Guayaquil. Cet ami, c´était un curé italien que j´avais connu à l´occasion d´une de ces histoires qui font jaser dans un village, qui plus est un village SOS où tout le monde se connaît. Le directeur avait une liaison secrète avec la jeune secrétaire qui s´est retrouvée enceinte. C´est peu dire que sa femme qui habitait avec lui dans le village n´a pas apprécié, elle a fait un tel scandale que la secrétaire a été obligée de démissionner. Sans famille pour l´aider et sans ressources, elle était à la rue.
 
 
Pío, le curé en question, avait fondé une sorte d´auberge pour les Indiens migrants, de pauvres gens qui venaient travailler à Quito comme maçons ou porteurs, les jeunes comme cireurs de chaussures, et retournaient en général dans leur village le week-end. Ils dormaient à même le sol sur des paillasses et pouvaient manger le soir pour un prix dérisoire. Une belle œuvre qui permettait à ces Indiens de ramener un peu d´argent chez eux pour leur famille.
Ce qui m´a fait l´apprécier la première fois, c´est qu´il a accueilli la jeune secrétaire, lui a donné une petite chambre et un travail comme assistante sociale de l´auberge, et ceci sans faire la morale à personne. Ce Pío était un type bien, tolérant et indulgent, très aimé des Indiens, toujours prêt à plaisanter, avec un physique impressionnant qui l´avait fait surnommer Hercule par ses copains de collège, m´a-t-il raconté.
A... tropical 86_01_10
  Mon ami Pío en train de plaisanter avec la cuisinière de l´auberge
 
C´est pourquoi lorsqu´un ex-collègue s´est étonné avec un petit sourire ironique qu´un mécréant comme moi ait un pote curé, je lui ai répondu, autant que je me souvienne : « Je ne juge pas les gens sur leurs croyances mais sur leurs actes, leur façon de se comporter dans la vie. Alors, ne t´en déplaise, je suis très honoré d´être l´ami d´un type comme Pío ».
 
 
Avec tout ça, je ne vous ai pas encore dit quelle influence il a eu sur ma vie à Guayaquil. Vous le saurez demain en lisant le prochain chapitre, si vous le voulez bien. En attendant, je termine, hors récit, l´histoire de la secrétaire. Le directeur et sa femme se sont finalement séparés et elle est repartie au Chili, son pays natal. Peu de temps après, il a lui aussi démissionné de son poste, s´est mis en ménage avec la secrétaire et a reconnu le garçon né de leurs amours. Aux dernières nouvelles ils sont toujours ensemble et ils ont prospéré car ils sont doués l´un et l´autre pour faire du fric et peu enclins à le dépenser; il faut dire que cet ex-directeur est aussi radin avec son argent qu´il était généreux avec celui du village SOS, il y a des gens comme ça. Quant à leur fils, c´est un gars très intelligent et super doué pour les langues puisqu´en plus de l´espagnol il parle le français qu´il a appris avec un copain de collège, l´anglais, et aussi le russe pour la simple raison qu´il vient de terminer ses études d´ingénieur en Russie, et il y est resté.


Dernière édition par tropifan le Mer 12 Mar 2014 - 11:09, édité 1 fois

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Message  KTsering Lun 10 Mar 2014 - 15:23

Merci beaucoup pour ce nouveau récit, dont j'attends la suite avec impatience !

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Message  chorel Lun 10 Mar 2014 - 19:15

Merci Tropifan pour ce récit. J'attends donc pour lire la suite.
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Message  tropifan Mar 11 Mar 2014 - 5:22

Merci à KTsering et Chorel pour ces encouragements. Quelques corrections à faire pour le chapitre suivant, mais il sera prêt dans la journée.

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Message  KTsering Mar 11 Mar 2014 - 8:33

Doublon supprimé


Dernière édition par KTsering le Mar 11 Mar 2014 - 19:17, édité 1 fois

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Message  KTsering Mar 11 Mar 2014 - 8:35

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Message  tropifan Mar 11 Mar 2014 - 8:58

Pour le printemps (officiel) il faut encore attendre 10 jours, tandis que pour le deuxième chapitre quelques minutes à peine  Very Happy

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Message  tropifan Mar 11 Mar 2014 - 9:01

                                                                                                               A... tropical (2)
 
Si vous lisez ces lignes, c´est que vous êtes venu à bout du premier chapitre, ce qui mérite déjà mes sincères félicitations. Mais avouez que ça vous agace de ne pas savoir quel est le titre, hein ? On ne se refait pas, vous connaissez mon goût immodéré pour le mystère. Et puis j´ai une excuse : si je vous le donnais maintenant, la fin de cette histoire n´aurait plus aucun intérêt, en particulier le dernier chapitre qui justifie le titre. Alors patientez un peu.
Il est probable que certains pensent : « C´est de l´histoire ancienne qu´il nous sert le Tropi, parce que s´il est ingénieur, le fils de la secrétaire et du directeur, ça fait un bout de temps qu´il a abandonné le biberon ». Très juste ! Il est de l´âge de certains membres éminents de ce forum (suivez mon regard), il doit avoir un peu plus de 25 ans. Mais ce que je vais raconter maintenant est beaucoup plus récent.
 
Revenons à mon ami Pío et à son auberge où j´allais le voir en moyenne une fois par mois, pour le plaisir de bavarder avec lui, mais aussi parce que certains ex-collègues et néanmoins amis me donnaient du matériel scolaire destiné aux petits cireurs de chaussures analphabètes ou presque. Un instit local venait leur apprendre à lire, écrire et compter après leur journée de travail, s´ils le désiraient car rien n´était obligatoire.
A... tropical 85_07_10
 Ces petits Indiens, à la différence de ceux de l´auberge, avaient la chance de fréquenter l´école de leur village.
 
Lors de ces visites à l´auberge de Pío, j´avais l´impression de plonger au fin fond de la misère humaine, au milieu des pauvres parmi les pauvres. Une expérience qui m´a marqué profondément. Au début j´avais du mal à supporter l´odeur ; il y avait bien deux ou trois douches, mais ces gens, n´ayant chez eux ni eau ni électricité, n´étaient pas habitués à ce minimum d´hygiène qui nous paraît évident, et tous faisaient des travaux pénibles favorisant la transpiration, sans changer de linge bien sûr. D´où ce résultat odorant. Mais on s´habitue à tout.
 
 
Lorsque je lui ai annoncé la nouvelle, Pío a d´abord été surpris, puis il m´a dit :
- Ton village SOS va te manquer !
- Je reviendrai un ou deux week-ends par mois pour garder le contact.
- Oui, mais ici tu as une vie active, tu te sens utile, j´ai bien peur que tu risques de t´ennuyer à Guayaquil.
Il a allumé la cigarette que je venais de lui offrir (c´était son petit défaut) et il a ajouté :
- Pourquoi tu ne t´occuperais pas des enfants de la rue ? Il y en a encore plus là-bas qu´ici, il y a de quoi faire.
- Mais je ne vois pas du tout en quoi je pourrais les aider, je ne connais pas vraiment ce problème, je ne saurais pas comment m´y prendre.
- Si tu as un moment, va donc visiter de ma part la maison où nous les recevons pour la nuit, sur le côté sud de El Ejido (un parc dans le centre ville). Bavarde avec les éducateurs et les enfants, et même si tu ne te décides pas, tel que je te connais, ça t´intéressera.
 
 
C´est ce que j´ai fait, et en arrivant à Guayaquil quelques jours plus tard, j´ai également visité une autre maison poursuivant le même but, donner un abri aux enfants de la rue et essayer de les guider pour leur éviter la drogue et la délinquance, ce qui n´est pas facile. J´ai pensé que ce n´était pas une activité dans mes cordes. Et puis je venais d´arriver et de louer un appartement, j´avais largement de quoi m´occuper.
Ma priorité était de mieux connaître cette ville tropicale de deux millions d´habitants. J´ai donc acheté un grand plan que j´ai placé sur un mur, et tous les jours j´y marquais les itinéraires reconnus, en voiture bien sûr, parce que se balader à pied dans les quartiers pauvres de cette métropole est vraiment trop risqué.
Ce qui est bien pour l´automobiliste, c´est que cette ville, contrairement à Quito, est plate, les avenues sont larges et on y circule facilement, d´autant plus que peu de temps avant mon arrivée, un périphérique venait d´être construit à l´extérieur de la ville. Tellement à l´extérieur que j´avais toujours un petit frisson en passant dans une zone encore non peuplée où l´on trouvait souvent le matin un ou plusieurs cadavres, résultat de règlements de compte, de bagarres nocturnes entre bandes rivales, de crimes crapuleux ou passionnels, jetés au bord de la route pour qu´on ne sache à qui attribuer ces meurtres qui restaient toujours impunis. Il faut dire que la police, de l´avis général corrompue et inefficace, ne faisait pas grand-chose pour les élucider.
 
 
J´ai aussi visité les centres commerciaux qui ont poussé comme champignons après la pluie dans cette ville tropicale. Il se murmure que leur construction a servi à blanchir l´argent de la drogue en provenance de la Colombie voisine. Toujours est-il qu´ils sont modernes, luxueux même, et qu´ils ont l´air conditionné, ce qui est fort agréable dans une ville où il fait très chaud.
C´est un lieu de promenade apprécié aussi bien des jeunes que des familles, il y en a pour tous les goûts. On peut y manger pour pas cher, aller au cinéma, flâner devant les magasins, faire ses courses dans une grande surface, ou simplement s´asseoir sur un banc pour regarder passer les gens en dégustant une glace. Et cela en toute sécurité grâce aux nombreux gardes... et sans rien débourser si on est sans le sou.
 
 
Riches et pauvres s´y côtoient, beaucoup plus qu´à Quito, ce qui n´est pas courant dans un pays où les classes sociales sont très marquées. Il est vrai que, vu le climat, on ne se ruine pas en vêtements, et les plus démunis mettent un point d´honneur à s´habiller proprement lorsqu´ils vont se promener dans ces centres commerciaux où tout le monde est bienvenu... sauf justement les enfants de la rue.
C´est que ces gamins souvent sales, mal élevés, réputés voleurs, font désordre dans un endroit qui se veut luxueux. Et les gardes postés à toutes les entrées ont pour consigne de les empêcher de pénétrer, par la force si nécessaire. Personne n´y trouve rien à redire, au contraire, car de l´avis général, il faut s´en méfier comme de la peste.
 
 
Mais moi, je me méfie beaucoup plus de ce qu´on me raconte que des gamins, et lorsque j´ai aperçu deux petits gars qui de toute évidence n´étaient pas des enfants de bonne famille, j´ai décidé de vérifier par moi-même si ce que j´avais entendu dire à leur sujet était exact. Ils avaient réussi à entrer (je ne savais pas comment, maintenant je le sais), et ils allaient très vite d´une personne à une autre, sans beaucoup de succès apparemment, tout en se cachant du garde le plus proche. Lorsqu´ils sont arrivés près de moi, le plus grand m´a demandé :
- Una monedita para comer (une petite pièce pour manger)
- C´est vraiment pour manger ?
- Oui, on a rien mangé depuis hier.
- Bon, on va bien voir si vous avez faim, je vous invite.
Ils se sont regardés, très surpris de cette invitation inattendue, puis ils m´ont suivi jusqu´au food court tout proche.
A... tropical 2002_110
 Une vue du food court (ces enfants ne sont pas ceux dont je parle)
 
Food court, ça fait tout de même plus riche que patio de comidas, son équivalent espagnol. C´est un concept probablement venu des Etats-Unis qui n´existe pas en France, du moins je n´en ai jamais vu. Un grand espace avec des dizaines de tables et de chaises, entouré d´une bonne vingtaine de fast food variés : pizzas, poulet, grillades, porc, poisson et fruits de mer, nourriture typique de la Sierra, de la Côte, chinoise, japonaise, italienne, du Moyen Orient, glaces, sans oublier les frères ennemis Mac Do et Burger King.
Je leur ai laissé le choix, et sans hésiter ils ont opté pour le poulet-frites... comme l´auraient fait beaucoup d´enfants français. En l´occurrence du poulet à la mode du Kentucky paraît-il, aussi gras qu´il est possible, mais ces deux lascars n´étaient pas épais et ne craignaient pas le cholestérol.
Ce repas a beaucoup aidé à établir un climat de confiance entre eux et moi. C´est ainsi que Luis et Jesús ont été les premiers enfants de la rue que j´ai connus à Guayaquil.
A... tropical 2001_010
 
Luis (en rouge) et Jesús (en blanc) au food court


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Message  Simulacra Mar 11 Mar 2014 - 9:57

Passionnant comme d'habitude :-)

Une question : Sur la photo des enfants (chapitre 1), il y en a au moins 2 qui n'ont pas de chapeau ! Si je me souviens bien, le chapeau, c'est important chez ces jeunes ! :oPourquoi diable ces deux là n'en ont pas ?

Pour le principe de food court, on peut trouver des équivalents en France. Par exemple... au Louvre ! (ou plutôt, au carrousel du louvre) http://www.carrouseldulouvre.com/W/do/centre/restaurants

Mais ça reste un concept très peu développé. J'en ai déjà vu ailleurs, sur les autoroutes, rarement.
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Message  tropifan Mar 11 Mar 2014 - 10:59

Réponse à la question : s´ils n´ont pas de chapeau, c´est probablement que leur famille est trop pauvre pour leur en acheter un (car ces chapeaux, aussi étonnant que ça paraisse, viennent d´Allemagne). Mais les jeunes Indiens qui viennent travailler à Quito remplacent le chapeau par une casquette... histoire de laisser croire qu´ils sont métis et non Indiens.

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Message  KTsering Mar 11 Mar 2014 - 19:26

Casquettes : il me semble en repérer au moins deux sur la photo des écoliers.

Sur la photo, Luis et Jesús ont l'air tout à fait fréquentables. Serait-ce dû à ... ta fréquentation ?

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Message  tropifan Mer 12 Mar 2014 - 7:12

KTsering a écrit:

Sur la photo, Luis et Jesús ont l'air tout à fait fréquentables. Serait-ce dû à ... ta fréquentation ?
 
Plus ou moins car, comme je l´explique dans le chapitre 4, je faisais en sorte qu´ils soient propres pour aller manger avec eux au centre commercial.


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Message  tropifan Mer 12 Mar 2014 - 7:42

                                                                                                       A... tropical (3)
 
 
Inutile de préciser que ce premier contact avec des enfants de la rue m´avait donné envie d´en savoir plus sur le sujet, d´autant plus que Luis et Jesús ne correspondaient pas vraiment à ce que j´avais entendu dire, comme « dangereux petits voyous » il y avait pire !.
Ces gamins m´intéressaient, et c´était réciproque. Ils m´avaient demandé où j´habitais et je me suis rendu compte qu´ils connaissaient très bien mon quartier, proche de l´aéroport où ils se rendaient fréquemment, pas pour prendre l´avion bien sûr, mais disons... pour affaires ( Guayaquil et Quito ont une particularité : leur aéroport se trouve au milieu de la ville ; ce n´était pas le cas lors de la construction mais ces deux villes ont grandi si vite qu´elles ont absorbé leur aéroport).
J´ai donc eu l´occasion de les revoir car ils traînaient assez souvent dans le secteur. S´ils étaient complètement déscolarisés, par contre ils avaient encore le contact avec leur famille où ils rentraient généralement pour dormir, mais ils jouissaient d´une liberté totale et personne ne s´affolait s´ils restaient quelques jours sans venir à la maison. Ce renoncement à toute autorité de la part des familles m´intriguant, j´ai invité chez moi la mère de Luis, puis la grand-mère de Jesús.
 
 A... tropical 2002_l10
 Luis et Jesús jouant avec mon portable, l´un des premiers, une vénérable antiquité
 
Luis n´avait qu´une sœur de deux ans plus jeune que lui, interne dans une institution charitable, qui n´était donc plus à la charge de sa mère. Deux enfants seulement pour une femme dans la trentaine, une exception dans ce milieu. Il est vrai que le père, un policier originaire de la Sierra, ne vivait plus avec eux depuis plusieurs années... au grand soulagement de sa compagne.
. « Me daba mala vida » m´a-t-elle confié. Mot à mot « Il me donnait une mauvaise vie », c´est à dire qu´il la battait pour un oui ou pour un non. Et il n´était pas meilleur père que compagnon puisqu´il avait laissé ses enfants dans la misère sans se préoccuper de leur sort.
« Mon véritable mari, c´est Luis » a-t-elle ajouté en me racontant qu´à l´âge de huit ans, il travaillait déjà dans une moyenne surface en aidant les clients à empaqueter leurs achats et à les porter jusqu´à la voiture. Le peu qu´il gagnait avec les pourboires permettait de faire bouillir la marmite.
A l´époque de cette conversation, la situation s´était légèrement améliorée car elle venait de rencontrer un homme qui, sans vivre avec elle car il avait une autre liaison, l´aidait un peu. Elle était de nouveau enceinte et quelques mois plus tard elle donna naissance à une petite fille. Hélas, trois ans plus tard elle mourut chez elle d´un cancer du col de l´utérus, le plus fréquent pour les femmes dans ce pays, sans pratiquement aucune aide médicale pour soulager la douleur. L´horreur !
La petite fille fut recueillie par les grands-parents paternels, et je n´ai pu dire à Luis que « Pour ta maman, il vaut mieux que ce soit fini, maintenant elle ne souffre plus ». Je n´avais pas eu à lui mentir, c´était ce que je pensais.
 
 
Jesús, lui, vivait avec sa grand-mère, Mami Blanca (Mami signifie Maman et non pas grand-mère), une brave femme avec laquelle j´ai tout de suite sympathisé, même si j´avais du mal à comprendre son fatalisme, typique des gens de la Côte, résumé dans l´expression « Si Dios quiere » (si Dieu le veut). Pas la peine de se faire du souci pour quoi que ce soit, on n´y peut rien puisque c´est Dieu qui décide.
Il est vrai qu´il lui en avait fallu, du fatalisme, car elle avait réussi à élever 11 enfants (de plusieurs pères, ce qui est la norme dans la région) sans jamais sortir de la pauvreté extrême. Je pensais donc que le gamin était orphelin de mère, mais ce n´était pas le cas, il avait une mère et 7 ou 8 frères et sœurs, je n´ai jamais su le nombre exact. Alors pourquoi ne vivait-il pas avec eux ? Mami Blanca me l´a expliqué :
- Ma fille ne s´en occupait pas, c´est son père qui me l´a amené, il l´avait trouvé par terre. Vous vous rendez compte, par terre ! Les rats auraient pu le mordre ! J´ai dit à ma fille « Tu le détestes ce bébé ! ». Alors je l´ai gardé.
- Mais pourquoi le détestait-elle ? lui ai-je demandé.
- Parce qu´elle n´aimait pas son père.
Une explication qui m´a laissé songeur. J´ai du mal à comprendre qu´une mère déteste son enfant, même si elle a des raisons d´en vouloir au père... qui au moins avait fait preuve de bon sens, à défaut d´amour. Car quand j´ai demandé à Jesús s´il le connaissait, il m´a répondu qu´une fois, par curiosité, il était allé le voir, mais que celui-ci ne l´avait même pas laissé entrer. Ce qui explique que la seule personne qui comptait pour le gamin, c´était sa grand-mère. Mais pas question qu´elle fasse preuve d´autorité, il ne serait pas venu à l´idée de cette pauvre femme d´interdire quoi que ce soit à son petit-fils.
 
 
Quant à moi, j´avais trouvé un travail à l´Alliance Française, une organisation subventionnée par le Ministère des Affaires Étrangères mais autonome, qui enseigne notre langue un peu partout dans le monde. Un boulot qui me convenait parfaitement car les cours étaient donnés du lundi au jeudi (ce qui laissait de super week-ends!) par tranches de deux heures, de 8 h à 12 h et de 15 h à 21 heures. Et ce qui était encore mieux, on ne s´engageait que pour 12 semaines, pour le nombre de cours désiré. L´idéal pour moi.
Suivant les trimestres, je donnais un ou deux cours le matin, et un autre le soir de 19 h à 21 h. Surtout pas l´après-midi. Pourquoi ? Parce que quelques années plus tôt, afin de rafraîchir mon anglais qui avait beaucoup souffert de la pratique quotidienne de l´espagnol, je m´étais inscrit à Quito au British Council (l´équivalent anglais de l´Alliance Française), et après un petit examen de niveau on m´avait mis dans un cours de l´après-midi où il n´y avait que des ados de 13 à 15 ans. Cette situation m´amusait mais gênait la prof anglaise, ce que je comprenais car elle devait adapter son cours à l´âge de ses élèves ; aussi je n´ai pas été étonné quand après le premier cours elle m´a demandé, comme une faveur, de passer dans un groupe du soir.
  
J´avais eu le temps de me rendre compte que ces jeunes auraient préféré taper dans un ballon ou aller à la piscine plutôt que de subir deux heures d´anglais après leur journée de collège (de 7 h 30 à 13 h 30 en général) et qu´ils étaient beaucoup plus disposés à chahuter qu´à écouter la prof. Donc, fort de cette expérience, je laissais sans regret les cours de l´après-midi avec les collégiens à mes collègues qui avaient un autre travail le matin.
Pour les cours de 19 h à 21 h, le directeur avait du mal à trouver des profs volontaires. C´était pourtant celui que je préférais car les gens qui venaient le soir étaient très motivés, je n´avais pas à faire la discipline comme avec les gamins, et on pouvait parler de tous les sujets. Vraiment agréable. J´avais beaucoup d´étudiants universitaires car pour certaines carrières on leur demandait de maîtriser une seconde langue en plus de l´anglais, mais aussi quelques adultes plus âgés qui, pour une raison ou pour une autre, voulaient apprendre notre langue.
 A... tropical 2004_a10
 Un de mes derniers cours du soir à l´Alliance Française
 
C´est dans l´un de ces cours du soir que j´ai connu Mayra, médecin pédiatre spécialisée en néonatologie, qui allait devenir ma copine. Je devine que certains lecteurs pensent : « Il ne manquait plus que ça, maintenant le Tropi va nous raconter sa vie privée ! Va-t-il lui aussi s´enfoncer dans la nuit, casqué, sur un scooter ?» Pas d´affolement (ou plutôt pas d´illusions), vous n´aurez pas les détails.  Very Happy 
Mais tout ce dont je parle dans ces premiers chapitres a pour but d´amener et de faire comprendre le dernier chapitre, celui qui justifie le titre. Et Mayra y joue un rôle très important.
La néonatologie est une spécialité médicale liée à l´hôpital ou à la maternité, puisque c´est là que se trouvent les nouveau-nés, et il faut s´en occuper 24 heures sur 24. Ma copine étant l´une des derniers arrivés parmi les médecins de l´immense maternité où elle travaillait, elle avait droit beaucoup plus souvent qu´à son tour à faire la nuit, et ça aussi c´est important pour la fin de cette histoire. Mais elle allait aussi m´aider pour quelque chose que je n´avais pas du tout prévu.
 
 Bon, à chaque jour suffit sa peine. Vous en saurez plus demain... si vous le désirez.


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Message  KTsering Mer 12 Mar 2014 - 14:09

Ouiiiiiiiiiiiiii, on désire la suite !!!....

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Message  Simulacra Mer 12 Mar 2014 - 19:41

Toujours aussi intéressant. Ta vie est un roman !
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Message  KTsering Mer 12 Mar 2014 - 21:40

Que deviennent Luis et Jesús  ? Ils ont l'air tellement sympathiques, ces gamins, et débrouillards.

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Message  tropifan Mer 12 Mar 2014 - 21:59

Il reste encore deux chapitres, puis dans un épilogue j´ai prévu justement de donner mes infos sur ce que sont devenus la plupart des gamins dont je parle (Luis et Jesús étaient les premiers mais dans le prochain chapitre il y en aura d´autres). Il faut encore que je l´écrive  Smile

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Message  pautel Mer 12 Mar 2014 - 22:18

"Luis et Jesús jouant avec mon portable, l´un des premiers, une vénérable antiquité"


J'ai presque honte car il ressemble étrangement à mon portable actuel!!!!!!!    lol
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Message  tropifan Mer 12 Mar 2014 - 22:29

pautel a écrit:
J'ai presque honte car il ressemble étrangement à mon portable actuel!!!!!!!    lol
J´espère pour toi que le tien n´est tout de même pas aussi lourd que celui-ci  Laughing

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Message  pautel Mer 12 Mar 2014 - 23:06

J'en ai bien peur.

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Message  tropifan Jeu 13 Mar 2014 - 1:40

                                                                                                      A... tropical (4)
 
 
Luis et Jesús avaient en quelques mois pris pas mal d´importance dans ma vie et ils se sentaient presque chez eux dans mon appartement. Ils connaissaient mes horaires et venaient en général l´après-midi, sachant qu´il y aurait toujours quelque chose à manger et à boire... comme dans les restos du cœur. Le week-end, je les invitais parfois à déjeuner dans un centre commercial, ce qui supposait qu´ils soient propres. Ils prenaient d´abord une douche, commodité qu´ils n´avaient pas chez eux, et se changeaient. Pour cela, sans me ruiner je leur avais acheté t-shirts et bermudas (c´est largement suffisant dans cette région) ainsi qu´une une paire de chaussures. Ce qui explique que sur les photos, vous les verrez toujours correctement vêtus, comme d´ailleurs les autres gamins dont je vais parler.
Ou bien on allait à la piscine, ce qu´ils appréciaient beaucoup car avec ce climat très chaud la baignade est un véritable plaisir. Comme la plupart des enfants des quartiers pauvres, ils avaient appris à nager tout seuls dans le fleuve Guayas qui arrose Guayaquil ; leur style n´était pas parfait mais ils étaient comme des poissons dans l´eau.
 
 
Une des caractéristiques des enfants de la rue, c´est qu´entre eux ils sont solidaires, même s´il leur arrive de se battre. C´est sans doute pour cette raison que lors de leurs visites, Luis ou Jesús m´amenaient parfois un copain, exactement comme un petit Français invite chez lui un camarade de classe, ce que je considérais comme une marque de confiance de leur part. Avec la différence que ces « invités » arrivaient toujours affamés. Autant que je me souvienne, je crois que les premiers furent Carlos et Pablo.
Carlos était un cas à part dans ce groupe car il rentrait dormir chez lui tous les soirs après sa journée de travail et c´était aussi le seul qui était encore scolarisé : il allait à l´école le matin, l´après-midi et la soirée étant consacrés à gagner de l´argent : il vendait des bonbons à l´unité, en plus de l´activité qui leur était commune à tous, dont je parlerai plus loin.
 
A... tropical 2003_110
                                                    Carlos (devant) et Pablo (derrière)
 
Quant à Pablo, c´était un très gentil garçon qui avait appris depuis tout petit à se débrouiller tout seul. Bien obligé puisqu´il était le second d´une famille de 12 enfants. Une famille sans père, comme beaucoup dans ce milieu, dont la mère n´avait pas de travail fixe (et pas d´allocations familiales bien sûr, là-bas on ne sait même pas que ça existe dans certains pays). Il ne pouvait donc compter que sur lui-même, et pourtant il était toujours de bonne humeur. Je me souviens que lorsque je me suis étonné qu´il ait autant de frères et sœurs, il m´a répondu avec son bon mot favori : « C´est moins cher par douzaine ».
Il était le seul du groupe à connaître Quito car sa mère y avait des frères, et il l´accompagnait parfois. Quelques mois après notre première rencontre, sa mère acheta un billet de bus (un seul, car elle ne pouvait payer deux fois 7 dollars) et soudoya le chauffeur avec un dollar pour qu´il laisse monter Pablo qui n´avait donc ni billet ni siège pour ce voyage de 8 heures, le bus étant complet.
Ils partirent en fin de soirée et le gamin se coucha dans le couloir entre les sièges, à même le sol car à cet âge on peut dormir partout. En arrivant au début de la montée vers la capitale, à l´endroit où la route devient très dangereuse, ce qui n´est pas peu dire car toutes les routes de ce pays sont dangereuses vu la conduite « sportive » des Équatoriens, dans un virage le chauffeur ne put éviter un camion arrivant en face. Le bilan de cette collision fut d´une quinzaine de morts, tous les autres passagers étant blessés plus ou moins gravement... sauf Pablo qui réussit à s´extraire indemne de cet amas de tôles froissées.
Curieux pied de nez du destin, il devait la vie au fait qu´il était couché dans le couloir, et donc à l´extrême pauvreté de sa mère qui mourut dans l´accident. Deux ou trois mois plus tard, il fut beaucoup plus affecté par le décès de son grand-père, mais son tempérament optimiste et joyeux reprit vite le dessus.
 
 
Peu de temps après ce fut le tour de Wilson et Peggy, frère et sœur, de se joindre au groupe de mes visiteurs fréquents. Leur mère, probablement fatiguée des brutalités de son mari, avait abandonné le foyer pour vivre un nouvel amour, et elle avait vite été remplacée. La pauvreté, un père violent et une marâtre qui n´était rien pour eux, trois bonnes raisons pour qu´ils aient préféré la rue à la vie familiale.
Les enfants de la rue sont des garçons à plus de 95% ; les filles restent plus volontiers à la maison car, dans ce milieu machiste, elles y sont plus utiles que les garçons, réputés incapables de s´occuper des tâches ménagères, et elles servent aussi fréquemment de jouet sexuel.
Mais la rue est encore plus dangereuse pour une gamine de 11 ou 12 ans, c´est pourquoi je m´inquiétais beaucoup pour cette petite Peggy. Un matin, je l´ai trouvée pas loin de chez moi, endormie avec Luis sur un trottoir où ils avaient apparemment passé la nuit. Je n´ai jamais su ce qu´ils avaient fait ensemble, Luis étant alors un peu jeune pour une relation sexuelle complète, mais l´avenir de la gamine me paraissait bien sombre.
 A... tropical 2003_n10
                    Wilson avec Mayra
 
 A... tropical 2003_n11
                                                    Peggy jouant avec une voiture
 
Je me souviens que c´est Luis qui un jour m´a amené Joffre (oui, comme le maréchal, c´est courant en Amérique latine de donner comme prénom le patronyme d´un personnage célèbre : entre autres Lincoln, Jefferson, Franklin, Lenin, Stalin et même Hitler).
Ce garçon était un peu plus âgé que les autres et jouissait parmi eux d´un certain prestige car il était redoutable dans les bagarres (d´après eux car je ne l´ai jamais vu se battre). Pas agressif, mais ne se laissant pas marcher sur les pieds, c´était surtout un adolescent mal dans sa peau. Sa mère faisait partie de l´une de ces sectes protestantes fanatiques qui ont beaucoup de succès dans les quartiers pauvres, et le malheureux garçon était tiraillé entre le paradis promis aux membres de cette église et le péché, beaucoup plus agréable, que lui offraient les petits voyous du quartier.
Il ne faisait pas les choses à moitié. Peu après notre première rencontre, il eut une violente crise de mysticisme qui dura trois mois pendant lesquels, insensible aux railleries des jeunes, il avait toujours sur lui une bible et se portait souvent volontaire pour nettoyer l´église de la secte.
Puis, n´en pouvant plus de cet excès de bonnes actions, il se laissait aller à ses péchés favoris, surtout la drogue à laquelle il avait déjà goûté, et la fauche. Très serviable, il venait de temps à autre faire les courses avec moi, une aide que j´appréciais et redoutais à la fois car il ne pouvait s´empêcher de piquer quelque chose dès que j´avais le dos tourné, avec le risque d´un grave problème pour moi s´il se faisait surprendre.
 A... tropical 2003_010
                                            Joffre (à gauche) avec son copain Jaime
 
Ça commençait à faire beaucoup de monde : les sept dont j´ai parlé que je voyais souvent, plus une demi-douzaine de «copains» qui venaient chez moi de temps à autre. Heureusement que Mayra me donnait un coup de main en plus de sa spécialité, le suivi médical, qui ne lui occasionnait pas trop de travail il est vrai. « Dans ce milieu, me dit-elle un jour, il y a une sélection naturelle : les enfants qui sont encore vivants à 5 ans sont des costauds car ils ont résisté au manque d´hygiène, à une mauvaise alimentation et à l´ignorance des parents». Résultat : nos lascars avaient beau vivre dans la crasse, manger n´importe quoi n´importe où, ils n´étaient jamais malades.
Le plus préoccupant était l´ignorance des mères: je me souviens d´un cas qui illustre bien le problème. L´un des gamins s´étant pelé le genou au cours d´une bagarre, sa mère n´avait rien trouvé de mieux que de recouvrir la blessure de vernis à ongles. Cette fois, Mayra eut du boulot pour enlever cette croûte avec une pince à épiler, l´opération dura une bonne demi-heure et le pauvre gamin trouva le temps long. Après avoir désinfecté et posé un pansement, elle le récompensa d´un sourire, d´un bisou et d´un message à sa génitrice : «Tu diras à ta mère qu´elle mette le vernis sur ses ongles, pas ailleurs !»
 
 
C´est ainsi que Mayra et moi, nous nous sommes retrouvés, sans vraiment l´avoir cherché, responsables d´une micro ONG informelle spécialisée dans l´accompagnement des enfants de la rue. Notre but était modeste, mais pas évident du tout : principalement essayer de leur éviter de tomber dans l´addiction à la drogue qui conduit immanquablement ces gamins à la délinquance et à la prison. Pas facile car des salauds (il y en a plus qu´on croit) offraient gratuitement les premières doses pour se constituer une clientèle.
Second objectif : être pour eux des confidents qui ne les jugeraient pas, à qui parler et se confier en cas de problème. Et des problèmes, il y en a eu, avec la drogue surtout, mais on a réussi à limiter les dégâts, au moins avec nos « clients » réguliers, les sept dont j´ai parlé.
 
 
Demain dernier chapitre de ce récit


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Message  KTsering Jeu 13 Mar 2014 - 17:52

Bravo, à tous points de vue !

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Message  Simulacra Jeu 13 Mar 2014 - 22:26

Ce qui est fou, c'est que c'est vraiment très intéressant. Rien ne vaut le vécu ! Et tu as un style des plus agréables qui met cela en valeur ! Je suis fan !
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Message  KTsering Jeu 13 Mar 2014 - 22:42

Simulacra a écrit: Je suis fan !

Moi aussi !

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Message  tropifan Ven 14 Mar 2014 - 14:21

                                                                                                       A... tropical 5
 
 
Ces enfants de la rue avaient deux points communs qui soudaient le groupe :
1 - Sauf le cas particulier de Wilson et Peggy, ils avaient été élevés sans père. Et je pense que pour eux j´étais en quelque sorte un substitut d´image paternelle.
2 – Ils se retrouvaient presque tous les jours à l´aéroport où ils attendaient l´arrivée des avions en provenance de l´Europe, surtout d´Espagne. Pas par passion de l´aviation, mais pour «affaires». Aux passagers qui sortaient, ils demandaient par exemple «une pièce de votre pays pour ma collection», une manière de se faire un peu d´argent sans avoir l´air de mendier, car ils avaient leur fierté, et de gagner autant qu´un petit cireur de chaussures sans se salir les mains.
Mais j´ai vite découvert qu´ils se faisaient arnaquer par des salauds (je réserve ce mot aux gens qui maltraitent ou exploitent les enfants). Profitant du fait que les maisons de change n´acceptent que les billets, et que les gamins de la rue ne connaissent pas les cours des monnaies, ces salauds-là leur achetaient les pièces au quart de leur valeur environ : si l´euro valait 1,20 dollars, ils ne payaient que 30 centimes de dollar pour la pièce d´un euro.
 
 
Ce fut pour moi le début d´une activité (non lucrative) de cambiste à laquelle je n´avais pas pensé. Les enfants m´apportaient leur recette et je la changeais en dollars au cours du jour figurant sur le journal. Et pour qu´ils constatent que je n´en tirais aucun profit, je leur faisais calculer eux-mêmes la (petite) somme qui leur revenait. Avec une calculette bien sûr car ils ne maîtrisaient pas les opérations, mais c´était tout de même un bon exercice mathématique à leur niveau.
Vous devinez le problème : que faire de ces kilos de pièces ? Eh bien je les mettais dans ma valise lorsque j´allais faire un tour en France, et je les écoulais petit à petit pendant mes vacances. Les commerçants manquant parfois de monnaie, j´étais en général bien accueilli quand je payais mon repas en pièces de 1 ou 2 euros et un café en pièces de 10 ou 20 centimes.
 
 
Je me rendais compte que mes gamins ne venaient plus me voir seulement pour manger quelque chose ou changer leurs euros en dollars, une relation très forte s´était établie entre nous. Et ce qui m´a vraiment surpris et touché, c´est qu´ils n´ont jamais rien volé chez moi ; pourtant je ne prenais pas de précautions, il y avait toujours un peu d´argent qui traînait sur mon bureau et il m´arrivait de le compter avant qu´ils n´arrivent, histoire d´en avoir le cœur net : il n´a jamais manqué le moindre centime.
La dernière année, j´ai eu envie de leur offrir ce qu´ils n´avaient jamais eu, un véritable Noël avec cadeaux, chocolats et petite fête. J´avais gardé un merveilleux souvenir des noëls de mon enfance, et ça me semblait trop injuste qu´ils ne connaissent jamais cette joie. Par contre pas de sapin comme chez les gens aisés car cet arbre n´existe pas sur la Côte, et à mon avis il n´a pas sa place dans un Noël tropical. Sans compter que c´est justement en décembre que commence la saison la plus chaude dont le début est annoncé par une invasion de millions de grillons volants qui pénètrent partout et risquent de tomber dans votre plat si vous mangez dehors. Je trouvais ridicules et je plaignais les malheureux qui pour quelques dollars transpiraient sous un manteau rouge et blanc dans les centres commerciaux.
Ce jour de Noël fut un grand moment de bonheur pour nos enfants de la rue, mais aussi pour Mayra et moi. En voici quelques photos.
A... tropical 2003_n12
                                                    Personne n´ose toucher les cadeaux
 
A... tropical 2003_n13
 
 
A... tropical 2003_n14
                                                   Une glace pour finir
 
Bon, maintenant que vous savez tout ou presque de ma vie à Guayaquil, je peux vous raconter une anecdote, celle qui justifie le titre caché de ce récit. On était en mars, quelques mois donc après ce Noël mémorable. Le moment le plus chaud de l´année, une chaleur oppressante qui colle à la peau et fait apprécier pleinement l´air conditionné.
Ce soir-là, une fois de plus Mayra était de service de nuit à la maternité, et moi j´avais mon cours de 19 h à 21 h. En arrivant à l´Alliance Française, un de mes collègues de l´après-midi me demanda :
 - Tu restes après ton cours ?
- Pourquoi ? Il y a quelque chose de spécial ?
- Tu n´es pas au courant ? Le nouvel ambassadeur offre un cocktail.
Je n´étais pas revenu à l´Alliance depuis le matin, et le secrétariat avait averti les profs de l´après-midi, les plus nombreux, mais on m´avait oublié, ce qui ne me chagrinait pas outre mesure. Pour vivre heureux, vivons caché ! Toutefois j´ai pensé que ce cocktail risquait d´être sympa.
Le nouvel ambassadeur voulait faire connaissance avec la minuscule colonie française de Guayaquil (pas plus d´une centaine de personnes, enfants compris, certains ne parlant que quelques mots de français), et l´Alliance était le seul endroit « français » de la ville disposant de locaux assez spacieux pour cela, à la fin des cours bien sûr.
 
 
Donc à 21 heures j´ai retrouvé avec plaisir certains compatriotes qu´on ne voit que dans ces occasions spéciales. Avec plaisir car les expatriés qui ont fait leur vie si loin de leurs racines sont des gens parfois folkloriques, mais toujours intéressants. Après avoir écouté poliment le petit discours de notre ambassadeur, nous sommes passés aux choses sérieuses.
Les serveurs ayant repéré que le groupe où je me trouvais était composé d´épicuriens et de joyeux drilles dotés d´un solide appétit et appréciant les bons vins chiliens, ils passaient souvent parmi nous et l´ambiance devenait de plus en plus chaude et agréable. Cette sympathique soirée se prolongea ainsi jusque vers 11 heures du soir.
 
 
Heureusement que l´alcootest était encore inconnu en Equateur ! (de toute façon les flics de la circulation disparaissent dès que tombe la nuit, à 18 heures 30, ça devient trop dangereux pour eux). Mais je parvins sans problème à retourner chez moi au volant de ma Fiat Premio. En arrivant, grosse surprise : Jesús, Pablo, Carlos, Wilson et Peggy m´attendaient devant la porte du garage. Ce n´était pourtant pas une heure pour les visites.
- Qu´est-ce que vous faites ici ?
- C´est Mayra qui nous a dit de venir, a répondu Jesús
- Vous êtes là depuis quelle heure ?
- Depuis 9 heures. Bon anniversaire Pedrito !
J´ai soudain réalisé qu´on était le 21 mars, ce que j´avais complètement oublié. Ce genre de surprise, c´était tout à fait le style de Mayra. Elle avait acheté un magnifique gâteau au chocolat et demandé aux enfants de me l´apporter à l´heure où je devais normalement rentrer, peu après 9 heures car, pas plus que moi, elle n´était au courant du cocktail de l´ambassadeur. Et ces pauvres gamins m´avaient attendu deux heures dans la chaleur moite de cette nuit de mars. Ils avaient largement mérité de boire un coup. Pour eux l´heure tardive n´était pas un problème, personne ne s´inquiétait s´ils ne rentraient pas dormir à la maison.
 A... tropical 2004_010
 Le gâteau de Mayra
A... tropical 2004_011
 de gauche à droite : Jesús, Carlos, Peggy, Pablo, Wilson
 
Le gâteau ayant pris un coup de chaleur, je l´ai mis quelques minutes au congélateur et il a été très apprécié, accompagné d´un verre de Coca. En y repensant, je peux dire que cet anniversaire a été le plus joyeux et peut-être aussi le plus beau de ma vie, en tout cas le seul dont je me rappelle tous les détails. Et pourtant c´était il y a dix ans exactement, ces enfants sont adultes aujourd´hui.
 
Vous savez maintenant quel était le titre mystérieux de ce récit   Laughing 
 
 
Demain l´épilogue : Que sont-ils devenus ?


Dernière édition par tropifan le Sam 15 Mar 2014 - 6:11, édité 2 fois

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